Comme promis, je vous ai préparé une mini-série sur un sujet un peu touchy : le haut potentiel intellectuel. On y abordera les mythes entourant l’intelligence et quelques faits
incontournables.
1) HPI et intelligence: définitions
L’intelligence intrigue et fascine depuis la nuit des temps. On cherche à la comprendre, à la mesurer, à la stimuler, à la reproduire. Souvent sans grande réussite : elle a ainsi tendance à
nous échapper au moment où on pense enfin la cerner. On a même du mal à se mettre d’accord sur sa définition, même si aujourd’hui, on considère généralement
l’intelligence comme la capacité à s’adapter à son environnement.
Pour pouvoir la comparer, on a mis en place au début du siècle dernier les premiers tests de QI. De nos jours, les tests standardisés mesurent quatre indices : la vitesse de traitement de
l’information, la mémoire de travail, le raisonnement perceptif et la compréhension verbale. Ils permettent ensuite de comparer les résultats obtenus à une norme. On considère ainsi en France
qu’une personne est HPI lorsqu’elle a obtenu un résultat supérieur à 130, ce qui correspond à 2,5 % de la population. Ce seuil a été choisi pour des raisons essentiellement statistiques et
peut légèrement différer suivant les pays.
Cette vision de l’intelligence n’est toutefois pas la seule qui existe: Howard Gardner par exemple, préfère parler d'intelligences multiples et Daniel Goleman a, quant à lui, popularisé le
concept d'intelligence émotionnel. Bref, il n'y a pas vraiment de consensus sur le sujet et le QI semble parfois une solution par défaut.
Il existe en outre de nombreux termes pour désigner ces personnes différentes des autres: surdoués, zèbres, intellectuellement précoces, doués... Mais quoiqu'il en soit, il est clair que leur
visibilité a explosé: on en parle partout ! Et comme tout sujet à la mode, il engendre inévitablement des simplifications à outrance dont je vais vous parler ci-après.
2) Evolution du concept jusqu'aux mythes
Comme je vous le disais, le concept de douance est à la mode et connaît une évolution étonnante au regard des connaissances scientifiques actuelles.
De nombreux ouvrages sont sortis ces derniers temps avec une vision très spécifique et réductrice du HPI : celle d’individus hypersensibles au Qi élevé, dotés d'une difficulté à être
à l'autre, intuitifs, créatifs, empathiques, et avec un grand sens de la justice. En gros, une personnalité intense dont le cerveau en arborescence
fonctionne différemment. Cet aspect de la douance – qui existe, certaines personnes présentent ces caractéristiques! - est malheureusement mis en avant comme étant la norme. Or,
aucune étude digne de ce nom n’a pour l'instant montré de corrélation claire entre un QI élevé et les traits de caractères que je viens de citer.
Mais alors, d’où viennent ces théories ?
Deux explications principales à ce phénomène : tout d’abord, le biais de recrutement. Les psychologiques ou professionnels de l’enfance qui écrivent ces livres ne voient que les
enfants qui vont mal, ceux qui ont besoin de se faire aider et de se faire tester pour mieux vivre leur douance. Ils finissent donc par associer la douance à des caractéristiques
psychologiques qui ne sont pourtant pas plus présentes que dans le reste de la population. Ensuite, il y a l’effet barnum. Vous savez, ce biais cognitif qui nous induit à nous
retrouver dans toutes descriptions de personnalité nous plaisant et qui nous pousse à nous penser HP sans test de QI.
Heureusement, on entend aujourd’hui de plus en plus de scientifiques qui font entendre leur voix pour expliquer que cette image du zèbre n’est pas représentative du HPI, mais qu’elle
n’en est qu’une facette éventuelle. Car en voulant à tout prix mettre des étiquettes et faire rentrer les gens dans des cases qui ne leur correspondent pas, on peut créer par ricochet
de nouvelles souffrances. Et ce n'est pas le but!
3) Génétique et cerveau
Le HP a-t-il une origine génétique ou peut-on l’influencer par l’éducation ? Vaste question qui a longtemps divisé. Il est courant de retrouver des profils atypiques dans une
même famille, mais cela ne permet pas de conclure avec certitude sur l’origine de cette neuroatypie. Aujourd’hui, on considère que l’intelligence repose à la fois sur des
éléments innés et acquis (les études sur les enfants adoptés et les jumeaux ont permis d’affiner les connaissances). Certains gènes ont aussi
pu être identifiés mais ils ne suffisent pas à expliquer la complexité du processus en jeu.
Je tenais à rappeler ici que le QI n’est pas une donnée fixe. Il dépend dans une certaine mesure de nombreux facteurs tels que la fatigue du sujet testé, son stress, ses
capacités d’attention, sa connaissance et sa pratique des tests effectués... En répétant régulièrement les tests de QI, il est ainsi possible d’augmenter artificiellement son
résultat final. Ces tests sont d’ailleurs le reflet d’une culture à un instant T donc si l’enfant grandit dans un environnement stimulant, avec des parents qui utilisent un
vocabulaire riche et varié, il aura de meilleures chances de réussir lorsque ses compétences langagières seront testées.
Enfin, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les personnes HPI ne possèdent pas un cerveau globalement différent des neurotypiques. Les EEG montrent toutefois des
différences au niveau de la rapidité de traitement de l’information, déterminée en partie par la qualité de la gaine de myéline entourant les neurones, et dans la densité
neuronale de la zone cortico-préfrontale. Certaines études montreraient aussi une utilisation plus ciblée des aires cérébrales en jeu lors d'une réflexion poussée, donc une
meilleure efficacité. Mais nous ne savons pas encore si nous devons y voir une relation de cause à effet ou seulement la conséquence d’une stimulation environnementale
spécifique.
4) Pensée en arborescence
Nous avons vu que le cerveau des personnes à haut quotient intellectuel a tendance à être plus efficace que celui-ci des neurotypiques. Mais qu’en est-il de la fameuse
pensée en arborescence mise en avant dans la majorité des ouvrages sur le HPI ? A-t-elle été démontrée scientifiquement ? Existe-t-elle vraiment ou fait-elle partie
des mythes sur la douance?
Et bien, contrairement à ce qui se dit souvent et comme j’ai commencé à vous l’expliquer dans le post précédent, les personnes HP ne
raisonnent pas de manière radicalement différente des autres. Ils réfléchissent plus efficacement (dans la majorité des cas) et mémorisent mieux, mais il n’y a pas de
différence réelle qualitative. Aucune étude à ce jour n’a montré pour l’instant d’occurrence plus fréquente entre la douance et la pensée globale et/ou en arborescence
que chez le reste de la population. Le fait qu’elles pensent plus rapidement peut amener à avoir cette impression et il semble qu’il y ait une corrélation entre le
niveau d’intelligence et la créativité jusqu’à un certain seuil. On retrouve également une légère tendance à la pensée divergente chez les HPI (capacité à produire de
nombreuses solutions originales à un problème donné), même s’ils sont aussi capables de faire preuve de pensée convergente quand nécessaire.
Mais il semble bien que la pensée en arborescence au sens strict (notion assez flou évoquant une série d’images ou de notions qui se présenteraient de manière
quasi-simultanée à l’esprit, par association d’idées) soit un mythe. Tout le monde a la même manière de penser, ni vraiment linéaire, ni vraiment en arborescence.
Certains le font juste de manière un peu plus rapide que d’autres.
5) Hypersensibilité
Cette croyance est très forte dans le monde de la douance : les HPI seraient souvent/systématiquement (selon les sources) hypersensibles. Or, contrairement aux
idées reçues, les personnes à Qi élevé ne semble pas présenter de sensibilité émotionnelle supérieure à la moyenne (pour rappel, on considère qu’environ 20% de
la population serait hypersensible, ces chiffres étant néanmoins difficiles à établir du fait de la définition fluctuante de l’hypersensibilité elle-même), même s’il existe actuellement relativement peu de recherches sur la question et que les études réalisées
présentent parfois des résultats contradictoires. Une étude effectuée par Brasseur en 2013 ne montre ainsi aucune corrélation entre l’intensité des réactions
physiques observées et décrites lors du visionnage de films à caractère émotionnel et le QI.
On peut toutefois imaginer que le traitement cognitif de l’information sensorielle ou émotionnelle puisse être légèrement différent chez les personnes
surdouées du fait de leur rapidité de traitement de l’information et du nombre plus important d’informations à traiter. Le fait qu’elles se posent de
nombreuses questions sur ce qui les entoure et qu’elles apprécient d’analyser leur environnement et de couper les cheveux en quatre pourrait expliquer en
partie pourquoi hypersensibilité et HPI sont souvent associés. Mais encore une fois, pour l’instant, aucune étude majeure ne penche dans cette direction de
manière évidente.
De même, on ne retrouve aucune différence marquante concernant l’intelligence émotionnelle globale, la littérature sur la question étant très contradictoire.
Une étude isolée réalisée en Israël où le QI est systématiquement testé montrerait toutefois que les HPI seraient plutôt doués pour comprendre les émotions des
autres et les leurs mais ne s’en rendraient pas compte.
6) Anxiété et/ou dépression
Quant on parle de douance, il y a deux écoles : ceux qui la voient comme un don du ciel et puis ceux qui s’inquiètent car ils associent le haut
potentiel intellectuel à une difficulté à être et à vivre. Les surdoués auraient plus tendance à être anxieux, tristes et sujets à la dépression.
Il est ainsi indéniable que le décalage que ressentent certains HPI avec leurs pairs peut entraîner des difficultés d’intégration et une souffrance
parfois exacerbée par une forme de rejet plus ou moins poussé de la part d'autrui. Ils peuvent aussi souffrir de
solitude faute de trouver des amis avec des centres d’intérêts équivalents aux leurs. Nous ne pouvons toutefois pas nier que d’autres HPI savent tirer
profit de leurs facilités d’apprentissage et de leurs compétences cognitives pour mener une vie qui leur convient. Alors mythe ou réalité ? Allons voir
ce qu’en disent les études!
Nous manquons malheureusement encore une fois de données scientifiques valables pour évaluer la situation avec certitude. Des études effectuées dans le
milieu scolaire pour évaluer l’anxiété des élèves montreraient toutefois que les enfants précoces seraient moins sujet à l’anxiété, que cela soit
l’anxiété purement scolaire liée aux résultats (ce qui peut se comprendre), mais aussi l'anxiété plus générale. Concernant la dépression, les personnes
HPI ne seraient pas plus sujettes à celle-ci que les neurotypiques. Il y a très peu de données malheureusement concernant le stress et le suicide. Nous
pouvons toutefois en conclure que même si certaines personnes au QI élevé vivent mal leur douance, et ont donc tendance à se faire connaître du milieu
médical – d’où les biais de recrutement -, la plupart ne présentent pas un niveau de mal-être supérieur au reste de la population. Elles auraient même
tendance à être moins anxieuse. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle en soi !
7) Sens moral, humour,
etc
Voici deux autres caractéristiques très souvent associées à la précocité et à la zébritude : le sens moral et l’humour. Qu’en est-il vraiment ?
Les études effectués sur les enfants précoces ont montré qu’ils avaient souvent un raisonnement moral correspondant à celui d’enfants plus
âgés. Ils peuvent ainsi développer plus facilement les raisons sociales qui poussent un individu à avoir tel ou tel comportement et comprennent
plus tôt ce que nous avons le droit de faire ou non dans la société. Cela ne signifie néanmoins pas qu’ils
ont plus souvent tendance à agir selon les codes moraux. Et les chercheurs n’ont pas pu mettre en évidence de lien entre l’intelligence et le
sens moral. Ils ne parviennent pas non plus à statuer de manière certaine sur un lien évident entre HPI et empathie.
Quant au sens de l’humour, du sens de la répartie et des jeux de mots décapants, bien que cela soit un trait de caractère qui soit souvent mis
en avant sur les sites parlant de précocité, comme vous pouvez vous y attendre, il n’a malheureusement que peu été étudié dans la littérature
scientifique. L’humour est de plus un concept difficile à appréhender et à mesurer avec précision. Il existe certes des échelles (Richmond,
Svebak) mais qui sont basées sur l’auto-évaluation, ce qui limite donc forcément leur efficacité. Nicolas Gauvrit, qui a étudié la question,
nous explique toutefois que les enfants précoces utilisent plus souvent les jeux de mots et les doubles sens que les enfants neurotypiques, ce
qui s’expliquerait pas un meilleur vocabulaire et une meilleure compréhension de la langue. Ils auraient également un humour plutôt positif
qu’ils utiliseraient pour se faire apprécier d’autrui, bien que cela demande encore à être confirmé par des études supplémentaires.
En conclusion, on dit oui au sens de l’humour, un peu moins au sens moral !
8) Réussite scolaire
Pour terminer, je voulais aborder le cas de la réussite scolaire. Nous avons tous entendu parler d’enfants précoces avec des
difficultés scolaires ne parvenant pas à s’adapter à l'école. Ces histoires d’échecs scolaires sont souvent mises en avant tant elles
nous étonnent. Mais il faut bien comprendre que, même si elles existent, elles ne sont pas la norme. Certes, les surdoués seraient
légèrement plus touchés par les troubles dys, notamment par la dyslexie. Et ils se désintéressent souvent rapidement d’apprentissages
qui ne leur correspondent pas car trop lents et/ou trop répétitifs.
Le HPI reste néanmoins un des principaux facteurs de réussite scolaire, avec le niveau socioculturel. Il ne serait pourtant pas le
premier : ce qui importerait le plus, ce serait en réalité d’autres qualités telles que la ténacité et la capacité de travail ! Il
serait donc plus efficace d’apprendre à nos enfants le goût du travail et l’envie d’en découdre que de leur faire
écouter du Mozart dans leur berceau.
Pourquoi ai-je tenu à faire cet article ? Et bien parce que, parfois, sans le vouloir, en créant des catégories d’individus qui n’ont
pas lieu d’être ou en les décrivant de manière erronée, on peut paradoxalement amener certaines personnes à douter d’elles-mêmes alors
qu’on souhaitait au départ les aider. On peut aussi indirectement ancrer des comportements en les légitimant alors qu’il serait
préférable d’essayer de les accompagner vers une solution, en mode : « je suis hp, je ne vais pas bien, mais je ne peux rien y faire,
c’est inhérent au fonctionnement de mon cerveau. »
Pour en savoir plus, je vous conseille 2 ouvrages très complets qui m’ont servi de base pour créer ces vignettes : Les surdoués
ordinaires de Gauvrit et Le haut potentiel en questions de Brasseur et Cuche.
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