L’être humain ne se construit pas dans l’avoir ou dans le faire,
il se construit dans l’être.
A force de vouloir trop bien faire, d’avoir peur de rater des étapes ou le départ de la course, de nombreux parents oublient ce fait pourtant essentiel et remplissent inlassablement les programmes de leurs enfants par peur de manquer. Les enfants d’aujourd’hui doivent faire leur travail scolaire et ce dès leur plus jeune âge, ils doivent avoir des activités sportives, des activités collectives, faire de la musique, apprendre des langues étrangères, idéalement du théâtre ou de la poterie, avec un peu de dessin. Sous couvert d’études scientifiques nous expliquant que les enfants apprennent mieux et de manière plus efficace lorsqu’ils baignent dès tout petits dans les apprentissages, ceux-ci ne cessent de commencer de plus en plus tôt. Il est usuel aujourd’hui pour un parent d’un bambin de deux ou trois ans de lui chercher une activité extra-scolaire et on trouve de nombreuses propositions d’ateliers très intéressantes pour cet âge.
Dans le même ordre d’idée, la crise provoquée par le coronavirus ainsi que les interrogations et les peurs qu’elle engendre ont amené de nombreux parents de tout petits à se tourner momentanément vers l’instruction en famille pour cette nouvelle rentrée de septembre. Les demandes d’aide pour définir et mettre en place le programme d’instruction des enfants de petite et moyenne section de maternelle sont légions sur les sites spécialisés dans la question : quels manuels utiliser ? Combien d’heures consacrer à l’école par jour ? Quels cours par correspondance choisir ?
Pourtant, pendant des années, les années de maternelle ont consisté à coller des gommettes, à chanter des chansons et à jouer ensemble en apprenant les règles spécifiques aux grands groupes. Et des générations entières d’enfants s’en sont sortis sans dommage particulier. Pourquoi est-ce si différent aujourd'hui?
Certains pédagogues, notamment dans les milieux anglo-saxons ont même théorisé sur la question en développant l’idée que proposer trop d’activités à un enfant avant 7 ans et lui demander de s’intéresser à des apprentissages abstraits et formels l’empêcherait de développer correctement d’autres capacités primordiales à l’être humain : la créativité, l’imagination, l’autonomie, l’ennui, l’aptitude à se connaître. C’est le cas par exemple de Rudolf Steiner, ou encore de Charlotte Mason qui recommande également de ne proposer aucun enseignement formel aux enfants avant l’âge de 6 ans et de ne pas intervenir dans leurs découvertes du monde, de laisser leurs cerveaux mûrir sans trop de pression. Une seule chose serait réellement importante pour elle : encourager les enfants à passer le plus de temps possible dehors pour se (re)connecter à la nature.
Emi Pikler, médecin hongroise de l’après-guerre qui a théorisé le principe de la motricité libre, abhorrait les jouets pour enfants chez les tout petits, particulièrement les jouets bruyants ou clinquants qui empêchaient selon elle les enfants de grandir au mieux de leurs capacités. En détournant leur attention de leur propre corps, ils diminuaient le temps passé par les bambins en question à explorer leurs mains, leurs pieds, à tester de nouveaux mouvements, à tenter des coups de hanches qui, au fur et à mesure, permettront à l’enfant de se retourner.
Je suis persuadée que la surstimulation est néfaste à l’enfant sur le long terme. Même celle créée par des outils dits pédagogiques. Sur le moment, elle paraît souvent intéressante. On se donne bonne conscience en se disant que l’enfant a emmagasiné nombres d’informations intellectuelles qui lui permettront de construire sa culture générale et son raisonnement. Et peut-être est-ce en partie vrai, particulièrement si nous avons la chance que l’activité ou la sortie proposées correspondent justement à l’envie intrinsèque de l’enfant au moment M. Mais paradoxalement, nous rendons également notre enfant dépendant, dépendant de nouvelles stimulations pour ne pas s’ennuyer, dépendant de nous pour lui servir d’animateur, dépendant des autres pour apprendre à être bien avec lui-même.
Je ne veux bien évidemment pas dire qu’il ne faut jamais rien proposer aux enfants. La grande question est finalement de savoir quand est-ce que nous parents, nous en faisons trop! Je pense notamment que l’environnement classique d’une famille active avec peu voire pas d’écrans suffit amplement à répondre aux besoins de stimulation quotidiens d’un enfant en âge préscolaire et/ou maternelle. Votre enfant apprend en compagnie de son adulte référant toute la journée : en se promenant en forêt, en préparant le repas en sa compagnie, en discutant avec lui et en lisant des livres, en faisant un peu de ménage, en allant au marché ou en discutant avec le voisin, en rencontrant des amis au parc…
En voulant tout, tout de suite en matière d’éducation, on crée bien souvent des problèmes que l’on aurait peut-être pu éviter. Thomas Dee de l’Université de Stanford a ainsi sorti une étude sur des élèves danois montrant qu’un report de la scolarité formelle de un an à l'entrée en primaire avait des effets bénéfiques sur l’hyperactivité et l’autorégulation pendant plusieurs années. Et si un des facteurs de l’explosion des troubles dys dans notre société était la pression scolaire mise aux tout petits ? La foi et la confiance en la vie se crée très tôt: si je sais faire seul, je sais m’en sortir. En intervenant trop souvent dans le processus de développement de l’enfant, même avec les meilleures intentions du monde, on crée une dépendance au parent, une forme d’aliénation à l’adulte dont il faudra ensuite s’extraire, parfois difficilement et avec agressivité, à l’adolescence. Cette étape est-elle vraiment nécessaire ou est-elle finalement imposée de manière inconsciente par la dynamique de notre société ?
On entend souvent que tout se joue avant 6 ans : peut-être est-ce vrai mais je ne pense pas que cela soit le cas en terme d’apprentissages extérieurs motivés et initiés par une tierce personne. Plutôt en terme d’amour de soi et de l’autre, de connexion, de relation d’imitation, de confiance en soi, d’appréciation de soi. De compréhension du monde. Or, pour le comprendre, il faut d’abord le connaître, il faut y passer du temps, il faut s’en imprégner. Pas s'imprégner du monde artificiel et spécifiquement culturel qui sera certainement démodé dans 10 ou 20 ans, mais bien de celui plus universel de la vie en général, de notre relation à l’humain et à la nature.
Prenez votre temps et laissez votre enfant prendre le sien. Il a besoin d’explorer selon son rythme et ses impulsions au gré de sa créativité, besoin de se sentir libre, besoin d’avoir du pouvoir sur sa vie. Besoin de faire ses propres erreurs et de ne pas être jugé pour cela. Besoin d’apprendre à gérer sa frustration… Nous passons notre vie à avoir peur de rater des opportunités, de rater des cases à cocher. Puis, nous passons des heures à essayer de vivre en pleine conscience dans le moment présent, à apprendre à nous connaître. Et si c’était tout simplement parce que nous n’avons pas passé suffisamment de temps avec nous-même dans le calme et l’instant présent – comme les enfants savent si bien le faire tant que nous n’intervenons pas dans le processus - lorsque nous étions petits ?
La vie n’est pas une course de vitesse, c’est un marathon. Il ne faut surtout pas partir trop vite dans les premières années sous peine de ne pas parvenir à terminer la course en grande forme.
Un enfant a besoin de jouer, de jouer et encore de jouer. Dedans un peu, dehors beaucoup; seul, avec ses frères et sœurs, ses copains, ses parents, ses grands-parents; au parc de temps en temps, dans la nature le plus souvent; occasionnellement de manière dirigée mais surtout, le plus souvent, librement, sans règle et sans personne pour lui dire ce que ce jeu doit être; parfois avec des jeux prédéfinis mais la plupart du temps avec des morceaux de bois, des pommes de pin, des cubes; calmement et bruyamment; avec concentration et avec furie; en sautant, en glissant, en riant, en pleurant, en tombant, en se relevant, en dansant, en courant… Un enfant a besoin de jouer, pour être heureux, pour être bien dans sa peau, pour grandir comme il se doit. Ne raccourcissez pas cette période de sa vie déjà bien trop courte par vos craintes injustifiées. Gardez vos craintes pour vous, parlez-en à un ami, mais laissez, je vous en prie, vos enfants en liberté. C’est le meilleur moyen de ne jamais avoir à les mettre en cage.
Évidemment, tout est une question d’équilibre : chaque enfant est différent et leurs besoins ne sont pas les mêmes. Ils sont également à adapter sans cesse en fonction de leur âge et de l'évolution éventuelle de leur environnement. Je n’ai pas non plus la science infuse et dans des thèmes aussi spécifiques et difficiles à quantifier que celui-ci, je parle plus en terme de conviction profonde et d’impression générale que d'après la lecture d’études détaillées sur la question. Je vous laisse donc vous former la vôtre ou bien vous conforter dans celle que vous aviez déjà et vous souhaite, quelque soit le résultat de vos réflexions, une excellente journée.
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