Un papa m'a dit hier que son fils de sept ans était le vrai bonheur de sa vie mais qu'il avait bien conscience qu'il ne devait pas être le centre de toutes ses attentions. J'ai eu envie de disserter un peu avec vous de cette phrase et de ce qu'elle sous-entend selon moi car c'est finalement une idée que nous retrouvons souvent dans les magazines de société ou sur les plateaux télés et qui va à l'encontre de la construction stable et efficace d'un lien parents-enfants de qualité. Je précise que je n'ai pas explicité mes opinions sur la question au dit papa car ni le lieu ni le moment ne s'y prêtaient et que je ne peux donc qu'extrapoler ce qui se cache derrière cette petite phrase en apparence anodine, voire même pour certains j'imagine pleine de bon sens.
Est-ce que nos enfants devraient être le centre de toutes nos attentions? Et bien je crois personnellement que oui. Que le jour où nous décidons d'avoir un enfant, nous acceptons implicitement qu'il va être au centre de notre vie pour les dix prochaines années de manière extrêmement intensive, pour les dix années d'après de manière très intensive et pour le reste de notre vie de manière intensive. Nous acceptons que toutes nos décisions vont tourner autour de lui, directement ou indirectement, que tout notre quotidien va s'organiser en fonction de lui. Qu'il va faire l'objet de toutes nos attentions. Parce qu'il en a besoin, parce que c'est nécessaire à son développement de savoir que quoique papa ou maman fassent, ils pensent à lui, ils sont là pour lui quoiqu'il arrive et qu'ils prennent en compte ses besoins et ses capacités cognitives et émotionnelles au quotidien. Parce que nos enfants, aussi incroyables et résistants soient-ils, sont en construction et qu'ils méritent pour cela une attention particulière, une écoute spéciale et une présence supplémentaire par rapport à un adulte capable de raisonner, de relativiser, de patienter. Parce qu'ils sont entiers, parce qu'ils nous prennent pour des demi-dieux, parce qu'ils nous imitent et ont souvent tendance à s'oublier pour nous faire plaisir. En tous cas jusqu'à ce qu'ils ne tiennent plus et qu'ils explosent en vol, soit sous forme de rébellions ponctuelles, soit sous forme de mini-dépression à peine larvée.
Cette responsabilité démesurée et infinie, ce fil à la patte aussi merveilleux soit-il, peut néanmoins faire peur. Il peut nous étouffer, nous tétaniser, nous sembler une entrave à notre liberté et nous donner envie de fuir. Nous avons parfois l'impression qu'il nous relègue à ce rôle de parent si peu valorisé par la société qu'il n'est plus considéré comme suffisant pour s'épanouir en tant qu'adulte. Il devient aujourd'hui nécessaire de justifier que nous avons une vie en dehors de notre rôle de parent, même si celui-ci nous convient peut-être parfaitement. La société va même plus loin : elle suggère qu'il est malsain pour la famille que les enfants soient au centre de nos attentions, que si nous agissons ainsi, nos enfants vont devenir tyranniques et caractériels, que nous allons nous étioler, que notre couple va en pâtir et n'y survivra pas sur le long terme. Nous retrouvons souvent cette opposition couple parental contre enfants, comme si l'un devait être privilégié par rapport à l'autre ou comme si l'un devait avoir une forme de pouvoir sur l'autre.
Et si nous cherchions plutôt à nous éloigner de cette dichotomie pour voir les choses en plus grands ? Pour ne plus penser en terme de compétition mais en terme de collaboration. Nous ne chercherions alors plus à mettre en opposition les besoins des uns et des autres mais à trouver une solution acceptable pour tous avec laquelle personne ne se sente lésée.
Mais alors que faire concrètement ? Comment ce positionnement se traduit-il au quotidien ?
Si nous décidons par exemple de nous organiser un week-end au loin avec des copines, nous devons garder à l'esprit que ce week-end peut avoir des conséquences sur nos enfants. En fonction de leur âge, ils peuvent se sentir abandonnés ou rejetés, avoir envie de venir avec nous et trouver injuste que nous nous amusions sans eux, ils peuvent être contents pour nous ou n'en avoir tout simplement rien à faire. Mais quoiqu'il en soit, nous devons envisager leurs réactions potentielles au moment où nous réservons les billets d'avion afin de limiter les dégâts et de trouver des solutions en amont. Possèdent-ils une maturité suffisante pour supporter notre départ prolongé ou devons-nous renoncer à celui-ci? Pouvons-nous mettre en place quelque chose qui leur exprime notre amour même en dehors de notre présence : des petits mots laissés dans la maison, des photos envoyés régulièrement sur le portable de leur papa, leur laisser un T-shirt avec notre odeur, écrire un journal de bord où nous leur racontons tout ce que nous avons fait... De nombreuses possibilités s'offrent à nous et il y en aura sûrement une qui conviendra à notre famille. C'est ce que j'entends quand je dis que nos enfants sont le centre de notre attention. Cela ne signifie pas que nous devons nous sacrifier pour eux (en tous cas, pas quand ils commencent à sortir de la phase de nourrisson), que nous devons oublier nos propres besoins pour nous concentrer uniquement sur ceux de nos enfants. Cela signifie que nous devons toujours tenir compte de leurs besoins et de leurs émotions quand nous prenons une décision.
Bien sûr, je me rends compte que ce que je propose est difficile à mettre en place, d'autant plus d'ailleurs que la cellule familiale est petite et que peu de personnes dans notre entourage peuvent prendre le relais. C'est la difficulté majeure de nos générations : nous devons tout gérer seuls, nos parents, oncles, tantes, cousins habitant loin et ne pouvant généralement pas servir de vrais soutiens dans un environnement stressant et peu apaisant, avec des choses à acheter à tous les coins de rue, des écrans...
Il a été démontré que les conflits au sein de la fratrie augmentaient fortement dans les familles issues de pays en voie de développement migrants aux États-Unis. La société de consommation et l'industrialisation à outrance auraient ainsi tendance à faire diminuer les capacités d'empathie, d'entraide et de respect. Il paraît alors souvent plus simple de laisser tomber et de faire ce qui nous semble bon pour nous en nous disant que les enfants parviendront bien à s'adapter. Que nous en avons déjà tellement fait pour eux, que nous avons bien le droit de prendre un peu de bon temps sans nous occuper d'eux, pour une fois ! Et c'est vrai, ils s'adaptent et même souvent très rapidement. Mais à quel prix ?
Un enfant qui grandit régulièrement dans un environnement où ses sentiments et ses besoins ne sont ni reconnus ni pris en compte va se sentir insécurisé et perdre confiance en lui et en ses parents. Il va donc tenter de refouler ceux-ci afin de plaire à son entourage, avec plus ou moins de succès sur le long terme, mais toujours en écorchant le lien ténu qui relie son esprit et son corps. Puisque ce dernier n'est pas fiable, car il envoie des signaux émotionnels négatifs aux yeux des parents, il est préférable de cesser de l'écouter. De nombreux adultes, notamment des femmes qui ont appris très jeunes à être sages, gentilles et jolies, souffrent leur vie durant de cette difficultés à écouter leurs corps et ses messages, à être coupées de leurs instincts. De nombreux adultes souffrent également d'une incroyable difficulté à s'aimer et à s'apprécier, à se considérer comme aimable, au premier sens du terme, et doivent se battre avec acharnement des années plus tard pour se traiter enfin avec bienveillance. Si nous désirons éviter ses souffrances à nos enfants, traitons-les dès maintenant avec bienveillance, quelques soient les situations que nous vivons et apprenons à nous aimer. C'est un magnifique cadeau pour la vie que nous leur ferons.
Encore une fois, j'espère que vous ne vous méprenez pas sur mon propos. Je ne vous conseille pas de vous oublier, vous parents, et de mettre vos besoins systématiquement de côtés. Je pense juste que nous sommes tenus, de par notre fonction, de toujours garder le bien-être de nos enfants dans un coin de notre tête. Il arrivera malheureusement fréquemment que nos besoins d'adultes soient en opposition avec leurs besoins d'enfants. Nous devrons alors commencer par évaluer la justesse des besoins en présence (Est-ce que ce sont réellement des besoins ou juste de envies? Est-ce que nous réagissons par réflexe, par habitude, par automatisme, par croyance ou bien est-ce réellement important pour nous? Pouvons-nous différer notre décision, la reporter, la modifier? Que se passe-t-il si je lâche prise?) puis, si aucune solution n'a émergé d'elle-même, écouter la frustration de nos enfants sans jugement, avec empathie et amour.
Être parent est un véritable challenge quotidien, pour soi et, c'est vrai, pour son couple. C'est d'ailleurs certainement d'autant plus vrai que nous avons choisi d'accompagner nos enfants avec respect et bienveillance, car cela demande forcément une attention et une présence plus importante. Mais c'est un pari sur l'avenir. En remplissant leur réservoir affectif, nous leur permettons de prendre leur envol plus rapidement et nous misons sur des relations futures plus apaisées les premières années de maternage passées, dans l'amour, la compréhension et le respect mutuel. Alors gardons à l'esprit que le chemin est ardu afin d'éviter les pièges qui le jonchent et ne culpabilisons plus parce que nos enfants sont le centre de notre attention. Respectons-les et apprenons à nous respecter nous-mêmes, ils feront alors de même.
Rappel: comme je vous le dis souvent, il est parfois nécessaire de se faire accompagner pour pouvoir dépasser ses freins et ses peurs et trouver son propre positionnement par rapport à sa famille. Un regard neutre, un soutien professionnel peuvent relancer une motivation en berne ou dénouer des difficultés. Si vous en ressentez le besoin, si vous avez l'impression que vous stagnez ou si vous ne parvenez pas à être le parent que vous souhaiteriez être, trouvez le professionnel qui vous convient, avec lequel vous vous sentez en confiance et faites un bout de chemin avec lui. Les consultants en parentalité sont là pour vous aider à avancer vers votre objectif.
Contactez-moi si vous en éprouvez le besoin. Je me ferai un plaisir de vous expliquer plus précisément les outils à ma disposition pour vous venir en aide.
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