Petites réflexions en vrac sur le désir sexuel féminin
Schoppenhauer décrivait le besoin sexuel comme "le plus violent de nos appétits: le désir de tous nos désirs". Et pourtant, aujourd'hui encore, enfoui sous des mythes archaïques cellulaires, le désir sexuel féminin reste en partie méconnu et incompris. Nettement moins étudié que le désir sexuel masculin, pour des raisons historiques et culturelles, mais aussi pour des raisons purement pratiques - il est plus difficile à cerner et à mesurer de manière objective - il est encore et toujours perçu comme potentiellement menaçant pour la cellule familiale et le processus de filiation. À une époque où l'autorité royale était légitimée par le sang et où les tests ADN n'existaient pas, il était courant de considérer qu'une femme avec une libido au beau fixe serait plus encline à avoir des relations adultérines et ferait donc planer sur la descendance de son époux un risque de procréation illégitime non reconnue. Lui, par contre, pouvait éparpiller à loisir sa semence sans risque de détériorer la pureté du sang familial. Ces préoccupations d'un autre temps issues d'un patriarcat démodé ont tellement marqué notre société que nous en subissons aujourd'hui encore les conséquences.
Le désir sexuel féminin reste donc un sujet sensible et souvent tabou, malgré des années de lutte féministe pour le rendre plus "acceptable" et plus légitime. Sa complexité, le manque de compréhension scientifique de ses tenants et de ses aboutissants et la difficulté de l'évaluation tangible de ses symptômes d'un point de vue tant qualitatif que quantitatif, le rendent malheureusement difficile à cerner et à traiter en cas de dysfonctionnement.
Par le biais des réseaux sociaux, des magazines, de la publicité et des médias en général, notre société contemporaine nous incite sans cesse à nous comparer à un modèle utopique de perfection, de normes et de préjugés sur ce qu'il est bon de faire, d'être ou de penser. Or, la sexualité féminine n'est pas épargnée par cette injonction de performance alors qu'elle s'épanouit au mieux dans l'individualisation du désir. Elle est ainsi relativement fragile et demande à être chouchoutée pour s'épanouir de manière optimale.
La baisse de désir sexuel fait partie des dysfonctionnements classiques pouvant intervenir momentanément dans la vie d'un individu. Il est tout à fait normal de connaître des phases où l'envie fluctue, évolue en fonctions des paramètres environnementaux, de notre humeur du moment, de notre bien-être physique et émotionnel, de la qualité de notre relation de couple quand il y en a une, de notre estime de nous et de notre rapport au corps, de notre qualité de vie...
La perte de libido devient toutefois problématique lorsqu'elle engendre une souffrance ou une inquiétude de notre part ou de notre partenaire et lorsqu'elle affecte la relation amoureuse.
Le désir sexuel hypoactif dit DSH est défini comme le manque ou l'absence persistante ou récidivante depuis au moins 6 mois des fantaisies ou pensées sexuelles et/ou du désir et de la réceptivité d'activité sexuelle causant une détresse personnelle forte et/ou des difficultés interpersonnelles.
Il ne peut être expliqué ni par une pathologie organique chronique, ni par la prise de substances quelles qu'elles soient et se manifeste après une période de fonctionnement normal. Il n'est accompagné d'aucun trouble associé comme des dyspareunies - douleurs à la pénétration -, des troubles du plaisir sexuel, des troubles de l'orgasme ou des troubles de l'excitation.
Quelques chiffres révélateurs ! 1,2
11 à 33 % des femmes non ménopausées et 33 à 55 % des femmes ménopausées souffriraient de troubles du désir sexuel. Ce chiffre monterait à 56 % chez les femmes victimes d'agressions sexuelles pendant l'enfance ou en tant qu'adultes. 32 % des femmes ayant une relation avec leur partenaire de longue date ne ressentent pas de désir quand elles commencent une activité sexuelle avec lui, contre seulement 22,4 % si la relation est récente. Et seulement 52,5 % des femmes auraient parfois des fantasmes.
Une discrépance entre la sexualité réelle d'une femme et les pressions qu'elle peut ressentir de la part de son partenaire ou de la société peut entraîner l'installation d'un malaise dans le couple, malaise impropre au retour naturel d'une libido occasionnellement en berne. Cette persistance induit généralement une souffrance individuelle et familiale parfois/souvent accompagnée de stress, de conflits latents, de ressentiments et d'incompréhensions.
Le désir sexuel hypoactif impacte ainsi la vie relationnelle de la femme et sa confiance en elle puisqu'il va souvent de pair avec un sentiment de culpabilité vis-à-vis du partenaire (90 % des cas), avec une préoccupation (80 %), une frustration (68 %) et/ou avec un sentiment d'échec et de détresse (environ 50 % des cas).
La théorie de l'attachement et son impact sur la vie sexuelle du couple
Nous venons de voir que le désir sexuel féminin est difficile à appréhender. Mais s'il est une période de la vie où il est particulièrement mis à
mal - avec la ménopause -, c'est bien celle de la périnatalité et des mois suivant la naissance d'un bébé. Les bouleversements physiologiques et notamment hormonaux de la grossesse et de
l'accouchement ont le plus souvent un impact sur le désir sexuel féminin. De plus, la fin de la symbiose mère-fœtus, les modifications corporelles, les
vergetures et les rondeurs éventuelles, le changement de statut et de dynamique, la fatigue quasi constante des premiers temps engendrent un
passage à vide plus ou moins durable. Faire le deuil de sa vie d'avant, prendre en compte ses désillusions, les différences entre rêve et réalité - la rencontre avec votre nouveau-né n'est
peut-être pas aussi magique que vous l'auriez voulu, vous vous sentez peut-être incompétente, perdue pour l'accompagner au mieux, vous êtes peut-être seule pour affronter tout cela... - la
valorisation sociétale de la maternité mais paradoxalement pas des mères au foyer, tout cela perturbe le couple et met désir et séduction en berne en les reléguant au
second plan, quels que soient le type d'accompagnement éducatif et parental choisi par le nouveau couple. C'est une phase d'adaptation bien normale par laquelle tous les nouveaux parents
doivent passer.
Mais nos choix de vie, aussi fondés et bienvenus soient-ils, peuvent parfois indirectement nous mettre des bâtons supplémentaires dans les roues.
La théorie de l'attachement a été conceptualisée par Bowlby entre le milieu et la fin du XXème siècle et a depuis été confirmée par de nombreuses études scientifiques. Elle est fondée sur les besoins émotionnels du petit enfant et analyse l'impact que la réponse des adultes à ses demandes d'attention et à l'expression de ses besoins aura sur leur relation future, sur la confiance de l'enfant en lui-même et dans le lien parent-enfant, ainsi que sur son sentiment de sécurité général.
Elle montre également que la nature de cet accompagnement de la petite enfance aura des répercussions notables sur l'adulte en devenir. La théorie de l'attachement est à la base du maternage proximal et de l'éducation co-respectueuse et est un des fondements de l'accompagnement en parentalité que je propose.
L'attachement au sens de sécurité et de confiance est un processus naturel qui se met en place tout seul lorsque les parents répondent rapidement et avec empathie aux besoins de leurs enfants. Il se construit sur la longueur, sur l'addition d'un grand nombre de moments relationnels positifs, gratifiants, de temps partagés et de contact corporel. Il permet aux enfants de se sentir aimé par leur(s) personne(s) de référence (généralement les parents) et de faire preuve d'autonomie et d'indépendance puisqu'ils savent qu'un port d'attache, un havre de paix les attend à la maison pour les rassurer si besoin est.
Bowlby a défini trois grands types d'attachement:
- l'attachement dit secure lorsqu'un enfant séparé de sa figure d'attachement est heureux quand il la retrouve,
- l'attachement dit anxieux lorsqu'il pleure en la voyant,
- et l'attachement dit évitant lorsqu'il ne réagit pas à son retour.
Des études3 ont montré qu'en Allemagne, seuls 55 à 60 % des enfants entre un et deux ans ont un attachement secure. En Papouasie-Nouvelle-Guinée, par contre, où l'allaitement long, le portage et le sommeil partagé sont plus ancrés dans les habitudes quotidiennes, presque tous les enfants connaissent cet attachement secure. Je n'ai pas de chiffres sur la France mais au vu de mes observations personnelles concernant les deux pays, j'imagine que ceux-ci seraient encore plus élevés en France qu'en Allemagne.
Si vous désirez en apprendre plus à ce sujet, vous pouvez regarder la conférence très détaillée de Nicole Guédeney4 en libre accès sur youtube.
Les parents qui accompagnent au quotidien un ou plusieurs enfants en bas âge selon les principes de cette théorie peuvent aisément se sentir débordés et épuisés devant la démesure de la tâche à accomplir et en raison de l'isolement sociétal relatif dans lequel la majorité des familles actuelles se trouvent.
Les grands-parents vivent parfois loin et/ou ne soutiennent pas les choix éducatifs de leurs enfants, les amis n'ont pas forcément d'enfants en bas âge et s'éloignent car ils n'ont plus les mêmes priorités et/ou ne supportent pas la manière dont vous vous occupez de votre famille. Vous devez sans cesse vous justifier et vous ne vous sentez pas soutenus par votre entourage. Peut-être même celui-ci parvient-il parfois à vous faire douter de vos choix. Vous vous sentez dépassée par l'immense responsabilité qui vous incombe dorénavant consistant à prendre soin de ce petit-être que vous ne connaissez pas encore. Vous êtes épuisée à force de vous efforcer de répondre au mieux et efficacement aux besoins de vos enfants. Vous l'allaitez à la demande et vous êtes épuisée par cet allaitement, par les demandes d'attention incessantes, par le sommeil entrecoupé, d'autant plus s'il ne dort pas avec vous et que vous devez vous lever pour l'aider à se rendormir. Vous refusez de le laisser garder par quelqu'un d'autre et n'avez que très peu de temps pour vous. Votre réservoir affectif est mis à mal, vous avez sans cesse peur de mal faire, vous avez des difficultés à vous reconnaître, à trouver votre place... Vous avez peut-être du mal à trouver du temps pour votre couple et vous culpabilisez de cette situation. D'un autre côté, vos besoins de contact et d'affection sont maintenant remplis par votre/vos enfant(s) et vous vous éloignez lentement de votre compagnon. Comment votre désir sexuel pourrait-il être au beau fixe dans ces conditions si peu favorables?
D'un point de vue anthropologique, la libido et le plaisir sexuel sont là pour nous pousser à nous reproduire. Si nous sommes fatiguée et mal dans notre peau, notre corps ne peut pas se projeter dans une nouvelle grossesse, en partant du principe qu'il est d'abord nécessaire de sécuriser la santé du bébé déjà présent et de la mère avant d'envisager d'en mettre un autre au monde. Ne prenez toutefois pas cette généralité au pied de la lettre, cette logique n'est pas une méthode contraceptive, certains spermatozoïdes ne s'en laissent pas si facilement comptés !
Mais il est important de comprendre et d'accepter le côté risqué et compliqué de ce choix éducatif afin d'être capable de prévenir au mieux les difficultés éventuelles et de les gérer lorsqu'elles surviennent. Le risque de burn-out est là. Vous devez en parler à votre compagnon, à votre entourage, à vos amies et faire appel à leur empathie et à leur patience. Vous devez mettre des mots sur vos maux car il est toujours plus aisé d'accepter ce que l'on comprend. Faites preuve de créativité, d'originalité et de lâcher prise pour passer au mieux cette période si particulière et n'oubliez pas que pour faire face au mieux à l'adversité, il est important d'être correctement armé et secondé : ne négligez pas votre hygiène alimentaire et émotionnelle ! Si vous n'avez pas le temps de faire des courses ou de vous faire des bons petits plats, faites-vous aider le plus souvent possible.
Et n'oubliez pas : tout a toujours une fin, ce n'est qu'un moment difficile à passer, vous allez retrouver un nouvel équilibre qui conviendra à toute votre famille dans quelques temps. Écoutez-vous et écoutez votre partenaire, mais si vous sentez que cette situation perdure trop longtemps, n'hésitez pas à demander de l'aide à votre naturopathe qui pourra vérifier avec vous si des dérèglements possibles dans votre hygiène de vie peuvent expliquer cette situation. Il faut parfois peu de choses pour retrouver le chemin vers l'harmonie familiale.
La danse des hormones
Les travaux sur le désir sexuel féminin font souvent état d'un savant dosage indispensable entre les facteurs excitateurs et les facteurs inhibiteurs du système endocrinien dans la régulation de la libido. Il s'ensuit une nécessité absolue de disposer de neurotransmetteurs de qualité pour permettre à notre organisme de fonctionner au mieux dans ce domaine. La qualité de ces neurotransmetteurs est notamment influencée par l'alimentation, l'apport de minéraux, de vitamines, d'oligo-éléments et de graisses de qualité, l'état du microbiote et la barrière intestinale, le stress chronique, l'état d'inflammation systémique du corps, du foie et l'état d'oxydation, les perturbateurs endocriniens, les pilules contraceptives, la périménopause, un dérèglement hormonal surrénalien ou thyroïdien...
La fatigue physique et psychique, le tabac et l'alcool, ainsi que différentes causes pathologiques ou médicamenteuses, et des causes psychologiques jouent également un rôle dans l'étiologie de la perte de libido.
Je vais vous présenter très rapidement quelques-unes des hormones pouvant intervenir dans ce processus chez la jeune mère.
La prolactine
L'allaitement et la stimulation des mamelons induite maintiennent la sécrétion de prolactine à un niveau élevée, prolactine dont la concentration avait déjà augmenté pendant la grossesse et dont le rôle principal est la lactogénèse. Les tétées induisent un pic de prolactine très important au cours des premiers mois mais il se normalise en moyenne vers trois mois, avec des pics jusqu'à 6 mois d'allaitement.
La prolactine favoriserait le comportement de maternage, comme l'ocytocine, et influencerait négativement le comportement sexuel lorsque son taux sanguin dans l'organisme est durablement élevé. Elle est d'ailleurs libérée au cours de l'orgasme et bloque l'envie sexuelle après celui-ci en créant une sorte de période réfractaire par action sur le système dopaminergique. Elle interfère également avec la testostérone, notamment en activant la production de progestérone qui semble avoir un effet inhibiteur sur le désir sexuel, bien que certaines études tendent à montrer que ce soit plutôt l'équilibre œstrogène/progestérone qui soit primordial dans la libido.
La testostérone et les autres androgènes
Les androgènes sont des hormones stéroïdiennes produites en faible quantité chez la femme par les glandes surrénales essentiellement. La DHEA, précurseur de la testostérone, et cette dernière semblent jouer un rôle dans la facilité à atteindre un état d'excitation sexuelle. La testostérone, notamment, ferait naître des fantasmes érotiques par l'intermédiaire de l'hypothalamus.
Le cortisol
Le cortisol agit de plusieurs manières sur la perte de désir. Il est tout d'abord en compétition dans notre corps avec la testostérone parce qu'en cas de stress chronique, pour pallier à la nécessité accrue de produire du cortisol et notamment dans le cas où les glandes surrénales sont épuisées, l'organisme convertit la testostérone en cortisol en privilégiant celui-ci par rapport aux hormones sexuelles. Il peut également dérégler le cycle menstruel puisqu'il agit avec la progestérone comme avec la testostérone et qu'il augmente également la production d'aromatase, une enzyme permettant la production des œstrogènes à partir des androgènes. Enfin, d'un point de vue purement pratique, le stress induit un sentiment de tensions désagréables qui rend détente et lâcher prise difficiles et le temps alloué à la sexualité s'en trouve généralement amoindri. Une sexualité de qualité passe en effet par la capacité à écouter son corps et à se connecter en pleine conscience à lui.
Équilibre dopamine/sérotonine
Les neurones dopaminergiques sont impliqués dans la motivation en général et donc dans le désir sexuel en particulier, par le biais entre autres du striatum, centre nerveux du désir et du plaisir sexuel, en activant celui-ci. La sérotonine a contrario a tendance à inhiber une sexualité effrénée en diminuant la soumission aux impulsions engendrée par la dopamine. Mais elle est un régulateur d'humeur améliorant la relaxation et donc la capacité à atteindre plaisir et orgasme. Il semblerait donc que, comme pour le couple œstrogène/progestérone, l'équilibre du couple dopamine/sérotonine soit primordial pour une bonne gestion de ses désirs.
La libido ne peut évidemment être réduite à ses composantes physiologiques. De nombreux facteurs autres que ceux cités ci-dessus entrent en ligne de compte :
- le désir général, influencé par l'énergie vitale, le bien-être, la motivation,
- le désir de soi avec l'acceptation de sa personne et l'amour de soi,
- le désir de l'autre modifié par la communication, la confiance, la capacité à déceler le positif dans la relation, les projections éventuelles que nous pouvons avoir sur l'autre et sur la relation,
- une relation positive à la sexualité et à la féminité passant par la compréhension de son corps et de son fonctionnement - de nombreuses femmes méconnaissent en effet encore trop souvent les détails et les particularités de leur cycle menstruel et de leurs organes génitaux,
- des muscles de la ceinture pelvienne toniques permettant une bonne circulation sanguine dans cette région et une communication du système nerveux parasympathique adéquate,
- un état de sérénité générale avec un cerveau en veille. Si vous cogitez trop ou si votre amygdale, centre de la peur et de l'anxiété est activé, le désir ne pourra pas s'épanouir comme il devrait.
Une prise en charge holistique alliant hygiène de vie et suivi émotionnel et une véritable réflexion de fonds tenant compte de la biochimie individuelle comme peut le proposer la naturopathie avec l'aide de l'EFT est ainsi particulièrement adaptée au suivi de la perte de désir sexuel chez la jeune mère.
N'hésitez pas à me consulter si vous voyez que les difficultés s'installent. Vous êtes loin d'être seule dans ce cas et des solutions existent. De même, si vous souffrez de sécheresse vaginale, un accompagnement naturopathique peut vous aider à résoudre efficacement ce problème.
1 Cavalheira et al., "Women's motivation for sex: exploring the diagnostic and statistical manual, fourth edition, text revision criteria for hypoactive sexual desire and female sexual arousal disordes" .
2 Becker J.V. et al., "Level of postassault sexual functionning in rape and incest victims" .
3 Becker-Stoll Fabienne, Bindungstheorie
4 Guédeney Nicole, conférence sur l'attachement
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Cécile (jeudi, 31 janvier 2019 22:30)
Cool, super intéressant, merci, en plus j'adore les images.